Alsharq Tribune- Gina Issa
Des images de passagers bloqués pendant des heures, sans eau ni ventilation, dans des trains arrêtés, sont devenues virales au début du mois de mai, à la suite d’un sabotage présumé sur la ligne à grande vitesse Madrid-Séville. L’incident a entraîné l’arrêt de 30 trains et touché plus de 10 000 personnes, ravivant les inquiétudes sur la fiabilité du réseau ferroviaire national.
« Dans n’importe quel autre pays européen, quelqu’un aurait démissionné », a déclaré Alberto Núñez Feijóo, leader du Partido Popular (droite). Le mouvement d’extrême droite Vox a de son côté demandé la démission du ministre des Transports Óscar Puente, responsable selon lui du piteux état du réseau ferroviaire national.
De fait, il ne s’agit pas d’un incident isolé, alors que le système ferroviaire espagnol s’enorgueillit d’être le deuxième réseau à grande vitesse du monde, avec 3 973 kilomètres de voies.
En septembre 2024, une panne de signalisation avait provoqué le déraillement d’un train sur la ligne à grande vitesse entre Madrid et Barcelone, empêchant l’accès à des gares importantes comme celles d’Atocha à Madrid et de Barcelone-Sants, avec des retards pouvant atteindre quatre heures.
« Ils se sont consacrés au vol au lieu d’investir dans les transports », avait à l’époque déclaré Cuca Gamarra, secrétaire générale du Partido Popular, sur X. « C’est la raison du chaos ferroviaire dont les Espagnols ont souffert hier », a-t-elle ajouté.
Des milliards dépensés, peu de changement
L’Espagne est le deuxième plus grand bénéficiaire des fonds de relance post-pandémie de l’UE en termes absolus, ayant déjà reçu 47,96 milliards d’euros de subventions et 340 millions d’euros de prêts sur un total de 724 milliards d’euros.
Le gouvernement Sánchez a placé la modernisation des chemins de fer au cœur de son plan de relance post-COVID, visant une « mobilité durable, sûre et connectée ».
Au début de l’année, Óscar Puente avait annoncé un investissement record de 10 milliards d’euros dans le système de transport du pays, dont 7,6 milliards d’euros proviennent du fonds de relance de l’UE.
L’ADIF, l’opérateur national de l’infrastructure ferroviaire espagnole, a reçu 6,9 milliards d’euros en 2024 et 2025, soit plus que toute autre entité. RENFE, l’opérateur ferroviaire public, a reçu 96,5 millions d’euros, tandis que le ministère des transports a alloué 866 millions d’euros.
RENFE a détenu un monopole sur le secteur du transport ferroviaire de passagers en Espagne jusqu’en 2020, date à laquelle l’ADIF a commencé à ouvrir le marché à la concurrence de nouveaux acteurs nationaux et internationaux, comme Ouigo et Iryo.
Malgré l’augmentation des plaintes et des demandes d’indemnisation, les hauts fonctionnaires du gouvernement défendent pour l’heure le système ferroviaire du pays.
Le président de la RENFE, Álvaro Fernández Heredia, a qualifié les récentes critiques d’« hyperboliques » dans une interview accordée à 20minutos et publiée mercredi.
Óscar Puente lui-même a déjà fait l’éloge du système en le qualifiant de « modèle de réussite », déclarant en novembre qu’il s’agissait d’un « modèle qui peut être exporté partout ».
Cependant, RENFE a enregistré 353 665 demandes d’indemnisation en 2023 , soit près du double des 189 212 demandes recensées en 2019.
Depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition Sánchez en 2018, trois ministres des transports – dont José Luis Ábalos, aujourd’hui empêtré dans un scandale de corruption de 50 millions d’euros – n’ont pas réussi à stabiliser ou à améliorer le système.
RENFE a vu deux présidents se succéder, tandis que l’ADIF en a eu quatre. Deux anciens présidents de l’ADIF, Isabel Pardo de Vera et Ángel Contreras, font l’objet d’une enquête de l’unité opérationnelle centrale (UCO) de la Guardia Civil pour des liens présumés avec le même système de corruption.
Avec les pannes récurrentes, les retards croissants et les enquêtes en cours sur la corruption, de nombreux Espagnols se demandent si la véritable cause du chaos est une mauvaise gestion, un détournement criminel de fonds ou simplement un échec coûteux de la gouvernance publique.